Née à Mâcon en 1960, Isabelle Arn passe son enfance entre Chamonix et Lyon. A l'âge de 13 ans, elle se déclare "ermite" et passe trois ans hors du monde, occupant son temps libre sur la montagne, seule, observant les biotopes, les couleurs, les mouvements micro ou macroscopiques, comme depuis un rêve. Une période adolescente qui la connecte avec la nature silencieuse multicolore et puissante, sincère et généreuse qu'elle absorbe en se coupant du monde social des adolescents. Elle vit ces années solitaires comme une expérience tellement extrême et privilégiée, qu'elle ne peut depuis que se sentir en décalage avec la réalité et qu'elle refuse de percevoir la vie qui l'entoure dans des dimensions "aplaties".

Quittant Lyon pour Genève, licence d'histoire en poche, elle intègre en 1992 l'Institut Universitaires des Études du Développement de Genève (IUED). Des années très politisées et tiers-mondistes. Mais elle se tourne vers l'expression artistique comme vers un langage beaucoup plus évident. Elle commence à peindre en voyage, explorant l'aquarelle, le pastel, la gouache. L'Inde est vécue comme un « flash » : on y retrouve la quintessence de l'humanité, de la préhistoire à la haute technologie, tout se côtoyant sans complexe, l'Inde tellement humaine dans sa diversité et sa fantaisie.

C'est avec le pastel à l'huile sur papier et l'huile sur toile ou sur contreplaqué, qu'elle trouve ses matériaux de prédilection, parce qu'ils coïncident avec sa recherche d'un rendu en trois dimensions, plus en profondeur, qui lui permet de transposer la réalité, de la faire exploser et de recréer l'émotion. Sa personnalité émotive et excessive s'y exprime d'un seul jet comme une performance (elle ne retouche quasiment jamais). D'un seul trait, elle « balance » la couleur, la matière, ou le trait épais sur la toile, comme le poète s'adonnerait à l'écriture automatique.

N'essayant pas de convenir (elle ne sait pas !) ,elle croque de manière défoulatoire des fragments de "ressenti" au gré des rencontres, des états d'âme, des humeurs.

Elle dit la vie en exaltant la déconcentration et en focalisant sur le détail "anodin", une manière décalée de refuser la compression les codes . Elle dit le décalage entre ce que l'on est au fond vraiment et ce que l'on donne à voir. L'expressionnisme brut, ce « pris sur le vif » révélant la sincérité d'une émotion et d'une sensation, rend hommage à la dichotomie qui déchire l'âme des femmes, disponibilité, hyperadaptation aux autres, et vibration sauvage du ventre et de l'âme, cette femelle surpuissante sommeillant en elles et explosant autant dans la sexualité que dans le désir d'être sans armure… Effrayante nudité ? Pathétique fragilité?

Son esprit synthétique et sans jugement, mais sans complaisance, s'exprime dans sa peinture qui oscille entre onirisme naïf et urgence expressionniste.

Elle ne se réclame pourtant d'aucune école, si ce n'est celle de sa vie qu'elle capte dans ses détails anodins, au gré des instants. Elle peint comme d'autres attendent Godot . elle dit l'attente ou l'ennui, la sensualité, les instants volés. Des fractions de corps multicolores pour l'atmosphère de vie débordante qu'ils lui inspirent. Ils deviennent noirs ou monochrome dans la folie.

Elle veut ritualiser l'émotion, comme le fait l'art pariétal, conjurer ses peurs. Son impulsion, elle la vit comme un rituel magique et symbolique. Les Aborigènes, les peintres sorciers rupestres, préhistoriques, la fascinent, parce que, là, la peinture révèle une véritable utilité rituelle.

Pourtant son obsession reste la couleur, avec le mouvement, la lumière et le rythme qui résument ce qui est vivant sur terre. Elle peint des animaux, parce qu'ils ont toujours « le geste parfait ». "Un animal,dit-elle, en bougeant, ne fait que vivre; en le regardant, on approche du divin et c'est magnifique!" Isabelle Arn dit la nécessité de bouger, de vibrer, de danser et de jouir ; elle réinvente le sens intime des mythes universels. Chacun cristallise différemment ses émotions intimes mais il se dégage une universalité dans le besoin urgent de conjurer nos peurs et de vivre en harmonie avec notre être sauvage, avec la vie, qui est tellement généreuse.

C'est une peintre exaltée, habitée de cette vie sauvage que recèle chaque instant, même dans l'artifice de nos sociétés ultra sophistiquées. Elle peint en laissant faire sa main, librement. Comme un rite chamanique où ce n'est plus l'intellect qui décide mais l'esprit, le subconscient, qui délire et vagabonde, sa peinture s'ouvre comme un culte au lâcher prise. Sans jamais oublier de voir comme le monde est beau. Elle sait qu'il ne faut pas lésiner sur les grands sentiments.